Le couple "apport à SCI et concubinage adultérin" et l'action en nullité/ inopposabilité

Publié le par simehtimmopatriiraton

Commentaire de l'arrêt n° 312 du 23 mars 2011 (09-66.512) - Cour de cassation - Première chambre civile

 

L'action en inopposabilité n'est pas subsidiaire de l'action en nullité.


Voici un arrêt de cassation, rendu au visa des  articles 1421,1427 et 1832-2 du code civil, dont la concision ne fait que révéler les atours d'un arrêt de principe. 

M. X et Mme A sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. M. X et Mme Y, sa concubine, constitue une SCI aux fins d'acquérir un bien immobilier en 1998. Le divorce des uns et prononcé en 2007. Mme agi en nullité de l'apport en numéraire réalisé par M X à la SCI au motif que son autorisation n'a pas été obtenue pour effectuer ladite opération.
A titre liminaire on remarquera le cas d'espèce fréquent en pratique de l'époux manquant à son devoir de fidélité qui constitue une SCI avec son(sa) concubin(e) aux fins de lui assurer un gain de survie le cas échéant. Il est bien des situations dans notre société en mutation où ces époux vivent dans la schizophrénie sociale jonglant avec un mariage terne et un concubinage pimenté: le droit n'a plus qu'à s'adapter. Ici c'est une règle procédurale qui vient poser une limite aux relations entre les tiers aux relations...
 
La décision de première instance n'est pas connue. On sait néanmoins que les juges du fond en appel ont accueilli la nullité de l'apport en numéraire ainsi que la nullité de la société sur le fondement de la fraude. 
Pour ces juges, l'action en nullité de deux ans, prescrite, ne se confond pas avec l'acion fondée sur la fraude qui se prescrit par trente ans.. Ici donc les magistrats reconnaissent que l'action de l'article 1427 du Code civil est inapplicable celle de l'article 1421 du Code civil  fondée sur la fraude est inapplicable.
 
Mme Y se pourvoit en cassation, l'arrêt d'appel est cassé. Certes, l'apport d'un bien commun à une société nécessite l'autorisation du conjoint, cependant, l'action en nullité de l'article 1427 du Code civil se prescrit par deux ans à compter de l'acte litigieux. En aucun cas le fondement de la fraude par subrogation judiciaire de moyen ne peut fonder une telle décision car, d'une part, l'action en ce cas est une action en inopposabilité (et non en nullité) et, d'autre part, car Mme Y n'alléguait pas l'existence d'un acte frauduleux. Le fondement de la décision d'appel est donc vicié en droit: l'arrêt est cassé.
 
L'apport d'un bien commun à une société doit faire l'objet d'un consentement-autorisation du conjoint
L'apport en société est un acte de disposition répondant aux formalités de l'article 1421 du Code civil
Au visa de l'article 1421 du Code civil "Chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes qu'il a commises dans sa gestion.(...)"

 Aucune difficulté n'est identifiable dans cette situation. L'apport en société, au même titre que la vente par exemple, opére un transfert de propriété: il s'agit donc bien d'un acte de disposition. On ne reviendra pas sur la distinction entre acte d'administration et acte de disposition dont les frontières sont tangibles et dans si dans certaines situation un acte de disposition peut se nover selon l'objet en cause, en acte d'administration (exemple: l'arbitrage au sein d'un portefeuille de valeurs mobilières (jp Baylet du 12 novembre 1998)) des actes d'administration peuvent être considérés comme des actes de dispositions (exemple: voir pour cela le décret du 22 décembre 2008 relatif à la gestion de patrimoine des incapables..).

Cependant, cet acte de disposition doit répondre  à des caractéristiques particulères visées à l'article 1832-2 du Code civil.

  
Le nécessaire consentement-autorisation peut muer en participation à la vie sociale!

Au visa de l'article 1832-2 du Code civil, "un époux ne peut, sous la sanction de l'article 1427, employer des biens communs pour faire apport à une société(...) sans que son conjoint n'ait été averti et sans qu'il soit justifié dans l'acte".

Il s'agit bien du consentement-autorisation, c'est à dire une intervention spéciale d'un tiers à l'acte de société(l'épouse) qui valide l'apport. On citera la thèse du Professeur Philippe Delmas Saint-Hilaire "Le tiers à l'acte juridique"  LGDJ 12/04/2000 comme référence pour approfondir le sujet. 

On comprendra bien la raison de l'absence de cette personne lors de la constitution de la SCI, Monsieur ayant voulu conserver anonyme sa relation adultérine. Cependant, on s'interrogera sur le ministère du rédacteur des statuts. Etait il bien conscient des problématiques pouvant être rencontrées par la suite par les parties? C'est dès lors avec délicatesse que l'on pourra envisager une stratégie patrimoniale de protection du tiers ( concubine ou conbubin): la SCI étant hypothétiquement un bel outil de protection. Peut-être qu'une technique alternative eut pu être l'acquisition avec clause de tontine et, bien sur, pour M. une déclaration de remploi de propres et d'origine des deniers visée par l'article 1434 du Code civil.

La difficulté étant que Mme pourrait, mais l'hypothèse est d'école, obtenir, par simple notification à la société, la qualité d'associée pour la moitié des parts souscrites au visa de l'alinéa 3 de l"article 1832-2 du Code civil. En toute bonne logique, on écartera une telle possibilité.

Mais on pourrait très bien envisager une situation dans laquelle  dans un premier temps, une épouse donne, au cours d'une situation de séparation de fait plus ou moins longue non suivie de divorce, son consentement à tel apport par une SCI entre son époux et une nouvelle concubine. Et, dans un deuxième temps, cette même épouse décide de revendiquer sa qualité d'associée. Selon un arret de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 janvier 1993,  la renonciation d'un conjoint par écrit à revendiquer la qualité d'associé est définitive. On peut donc admettre, sauf clause d'agrément, qu'une revendiquation tardive soit envisageable quelqu'en soit les motifs.. Il serait donc nécessaire d'obtenir une telle renonciation ou de prévoir une clause d'agrément stricte dès la constitution: aucune réponse fixe pour moi mais je suis preneur d'un avis avisé..

 
La sanction du défaut d'autorisation est la nullité dont l'action se prescrit sous deux ans
Une nullité de l'apport encadrée temporellement

L'action en nullité de l'article 1427 du Code civil est enfermé dans un délai de 2 ans. Postérieure, à ce terme, l'action est dénuée d'intérêt à agir. Tout au plus Mme pourrait-elle opposer l'excpetion de nullité en vertu de l'adage "quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiedum".

Il faut donc bien veiller à cette rêgle de procédure. 

Une précision cependant, l'action s'ouvre au jour où le conjoint "a eu connaissance de l'acte sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté".

On comprendra l'inévitable problématique de cet article 1427 in fine du Code civil et principalement dans le cadre de divorce. 

Il faut donc bien veiller au seuil liquidatif à analyser les flux financiers suspects et, avec circonspection, les probables gisements d'action en nullité.

Le notaire liquidateur doit-il dès lors avoir une analyse approfondie des patrimoines de ses clients? Doit il mandater un huissier?

Dans cette situation, évidemment il y aura manque de coopération de l'époux impétrant. Et bien souvent son conjoint n'aura que peu d'armes pour obtenir a posteriori les preuves de tels transferts directs ou indirects d'acquêts vers le tiers à la relation.

 
Une exclusivité de l'action en nullité
Au visa de l'article 1421 alinéa 2 du Code civil,"Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l'autre."
A contrario cet article dispose d'une inopposabilité de tels actes: elle même obtenu suite à une action en inopposabilité dont la prescription est enfermée dans un délai de 30 ans.

L'arrêt commenté est clair l'action en nullité est " exclusive de l’action en inopposabilité ouverte par l’article 1421 du Code civil pour sanctionner les actes frauduleux, lequel ne trouve à s’appliquer qu’à défaut d’autre sanction".

Les dispositions sont explicites: il n'y a pas subsidiarité de l'action en inopposabilité. Ici l'action en nullité est prescrite et c'est fini. 

On critiquera cette position qui bien qu'ayant pour objet de sécuriser les relations juridiques peut laisser une personne victime d'une dissimulation à tout le moins dolosive si elle n'est frauduleuse. 

Il peut paraitre surprenant que la partie peut être la moins diligente, voire le plus innocente, subisse une telle application rigide du droit. 

Cette position des magistrats du Quai de l'Horloge doit inciter le conseil notarial à adopter une double démarche:

informative lors de dissolution matrimoniale conjuguée à concubinages adultérins et analytique des patrimoines respectifs au seuil de la liquidation des régimes communautaires.

Encore une fois le notaire est au coeur des relations patrimoniales et matrimoniales.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article