Le portefeuille de valeurs mobilières (4/4)

Publié le par Ingénierie patrimoniale

B/ Qualification contractuelle du portefeuille de valeurs mobilières en universalité de droit

 

L’universalité de droit crée un cadre spécifique aux valeurs mobilières dans la mesure où le portefeuille sera subrogé par une société (1) ou une fiducie (2). Techniquement, l’outil juridique utilisé pour conférer cette relative autonomie dans la gestion des valeurs mobilières se substitue formellement au portefeuille. La qualification de portefeuille, devenue inutile, ne disparaît cependant pas, du moins, elle réapparaîtra lors de la dissolution de la société ou l’extinction de la fiducie.

 

1) Société civile de portefeuille de valeurs mobilières

Le titulaire du portefeuille de valeurs mobilières confierait une personnalité morale à son portefeuille en constituant une société civile de portefeuille, dont l’objet consiste dans la gestion de l’ensemble des valeurs mobilières. La société civile de portefeuille est ici mise au service de la gestion et de la transmission d’un portefeuille et révèle un intérêt certain par rapport à la situation de démembrement du portefeuille (a) ou celle de la convention de quasi-usufruit (b).

 

a) L’intérêt de l’apport d’un portefeuille de valeurs mobilières à une société par rapport à un portefeuille démembré

 

Les sociétés civiles de portefeuille ont pour objet principal la détention et la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières. Elles sont à distinguer des sociétés de gestion de portefeuille, qui ont pour activité la gestion de portefeuilles pour le compte de tiers, mais qui ne sont pas détentrices des portefeuilles gérés. En pratique, la situation qui se rencontre le plus est la suivante : des parents détenteurs d’un portefeuille de valeurs mobilières assez important décident d’en faire l’apport en pleine propriété à une société civile de portefeuille. Contre cet apport, ils reçoivent des parts en pleine propriété. Prévoyants et soucieux de l’organisation de la transmission de leur patrimoine, ils donnent la nue-propriété des parts à leurs enfants et s’en réservent l’usufruit.

La société civile de portefeuille permet une meilleure exploitation du démembrement du portefeuille, en réalisant à la fois une transmission et une dissociation de la propriété du portefeuille et de l’exercice des pouvoirs sur ce portefeuille. Les associés ont la possibilité de laisser libre cours à leur volonté dans le cadre des statuts afin de mettre en place un réel aménagement des modalités de fonctionnement de la vie de la société. C’est pourquoi on insiste vivement sur le fait de soigner la rédaction des statuts.

 

En comparaison avec l’usufruitier d’un portefeuille démembré, l’usufruitier de parts de société civile de portefeuille bénéficie d’avantages à deux points de vue : d’un point de vue des pouvoirs de gestion et d’un point de vue de la vocation aux bénéfices.

 

Du point de vue des pouvoirs de gestion de l’usufruitier de parts de société civile de portefeuille :

L’interposition de la personne morale permet de transférer le pouvoir de gestion du portefeuille à une personne : le gérant, en tant qu’organe de direction et de représentation de la société. En pratique le gérant, généralement un des parents usufruitiers des parts, sera désigné par les statuts. Il pourra alors réaliser tous les arbitrages qu’il estime nécessaire au sein du portefeuille et adopter la structure te le profil de gestion qui lui conviennent, sans autre contrainte que celle de l’intérêt de la société. Les statuts peuvent modifier ce schéma d’organisation et le gérant peut se voir imposer d’autres contraintes par les associés. Mais il est certain que, dans ce cas, l’usufruitier gérant des parts de société civile retrouve une marge de manœuvre beaucoup plus étendue.

 

Du point de vue de la vocation aux bénéfices de l’usufruitier de parts de la société civile de portefeuille :

Selon l’article 1844 du code civil alinéa 3, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, droit de vote qui est réservé à l’usufruitier. Par conséquent, l’usufruitier pourra décider du sort du résultat : soit il est mis en réserve, ce qui sera profitable au nu-propriétaire ; soit il est distribué, et aura donc vocation aux bénéfices : les revenus et plus-values réalisées sur les cessions de titres. Le résultat distribuable sera déterminé par la somme des dividendes (pour les actions), coupons (pour les obligations), et plus-values nettes (titres de capitalisation). Contrairement au simple usufruitier d’un portefeuille de valeurs mobilières qui ne peut appréhender les plus-values (qui sont considérés non comme des fruits, mais des produits), l’usufruitier de parts de société civile de portefeuille y aura droit.

Ainsi, la société civile de portefeuille permettra à l’usufruitier des parts d’appréhender plus que des fruits…

Cependant, l’emploi de la société civile de portefeuille est à relativiser dans la mesure où elle comporte une certaine lourdeur de gestion, elle suppose une bonne entente de la part des associés et une volonté de leurs parts de préciser dès le départ dans les statuts les modalités d’exercice des droits des associés.

 

La société civile de portefeuille appréhende le portefeuille comme une universalité de droit, puisqu’il constitue l’objet de la société que les associés sont chargés de gérer. On a vu que l’interposition de la société était avantageuse sur plusieurs points par rapport au simple démembrement de propriété. Maintenant il faut savoir si elle l’est également par rapport à la convention de quasi-usufruit (b).

 

b) L’intérêt de l’apport d’un portefeuille de valeurs mobilières à une société par rapport à la convention de quasi-usufruit sur le portefeuille

Avec la constitution d’un quasi-usufruit sur le portefeuille de valeurs mobilières, le quasi-usufruitier est tout puissant et le nu-propriétaire doit se résoudre à trouver les garanties de sa créance de restitution. En ce qui concerne la situation de l’usufruitier, la société civile de portefeuille ne fait pas d’ombre au quasi-usufruit. En revanche, elle révèle à terme un attrait beaucoup plus sécurisant pour le nu-propriétaire. Certains ont soutenu qu’à force de garanties introduites dans la convention de quasi-usufruit, à la demande du nu-propriétaire, le quasi-usufruitier verrait sa liberté plus asservie que celle de l’usufruitier des parts d’une société de portefeuille.

Dans le cadre d’une société civile de portefeuille, l’usufruitier peut également faire profiter aux nus-propriétaires de toute ou partie des plus-values en les affectant en réserves, et en procédant périodiquement à leur distribution. Souplesse dont ne peut se prévaloir la convention de quasi-usufruit.

 

Par conséquent, la société civile de portefeuille réserve une souplesse dont ne peut se prévaloir la convention de quasi-usufruit. C’est pourquoi, il peut être conseillé à des particuliers avertis et soucieux de la prévision de leur transmission de choisir ce mode de gestion, plutôt que d’effectuer un simple démembrement de propriété sur le portefeuille ou de constituer une convention de quasi-usufruit. La société civile est la seule forme de gestion à envisager le portefeuille en son ensemble, en tant qu’universalité de droit, et à rendre possible un réel aménagement de la gestion de portefeuille.

 

Le droit positif ne connait qu’une seule forme d’universalité de droit, il s’agit du patrimoine. La société civile (1) est la solution principale, car éprouvée par la jurisprudence, la fiducie (2) avec son patrimoine d’affectation est une solution secondaire à envisager avec circonspection étant donné l’absence de recul du mécanisme et sa proximité avec le contrat de mandat.

 

2) Fiducie de valeurs mobilières

La fiducie a été intégrée en droit positif par la loi du 19 février 2007, son régime n’est pas encore stabilisé. Attirée par le trust et rattachée au mandat, le mécanisme présente un régime encore imparfait : plusieurs lois et ordonnances ont déjà apporté des modifications substantielles. Il présente néanmoins la consécration de principe du patrimoine d’affectation dans l’article 12 de la loi de 2007. Appliqué au portefeuille de valeurs mobilières on comprendra l’attrait d’un tel transfert à la fiducie dans la mesure où le patrimoine fiduciaire est doté d’une relative autonomie. La technique n’est pas nouvelle il suffit d’observer le cas du Fonds Commun de Placement qui constitue déjà une fiducie innommée.

 

a) Explication du mécanisme fiduciaire :

Présentons à titre liminaire le Fond Commun de Placement : visé à l’article L214-20 du Code Monétaire et Financier, il dispose d’une nature juridique controversée. C’est une forme de copropriété singulière sans personnalité morale. Copropriété singulière car les règles de l’indivision ne s’appliquent pas et car le porteur de part n’a aucun pourvoir sur l’actif du fonds. Chacun des porteurs est titulaires d’une forme de « lot », un droit personnel. Absence de personnalité morale, même si il a un nom et un patrimoine propre, et même si il peut être associé d’une SAS et il n’est pas soumis aux règles des sociétés en participation.

La fiducie est une stipulation pour autrui donc une relation tripartite présentant deux concepts originaux : un patrimoine d’affectation et une propriété fiduciaire. Dans la fiducie, l’opération consiste au transfert par un constituant à un fiduciaire de biens à charge pour lui de les gérer pour le compte d’un bénéficiaire. Au visa de l’article 12 de la loi de 2007, le patrimoine fiduciaire constitue un patrimoine d’affectation dans la mesure où l’actif qui le compose répond du passif. On comprend dès lors l’intérêt de donner une relative autonomie au portefeuille par le biais de la fiducie. Au-delà de cette conception de l’avoir, il faut en outre analyser l’exercice des pouvoirs du fiduciaire et s’interroger sur la réalité de ceux-ci. Y a-t-il ou non transfert de propriété. Le contenu de ces pouvoirs est légalement indéterminé et doit être contractuellement défini.

 

b) Présentation du portefeuille-fiducié

Le portefeuille est dit « fiducié » en ce sens que la fiducie ne comprenant que ce portefeuille devrait nécessairement être le seul actif de ce patrimoine, au risque de perdre sa qualification en universalité de droit. A une fiducie doit correspondre un portefeuille. Avec cet encadrement juridique, ce manteau juridique, le portefeuille dispose d’un régime juridique précis, même si encore une fois il faut préciser que le contrat de fiducie nécessite de nombreux recours, en de nombreux points à des aménagements conventionnels. L’importance principale est éventuellement de se rapprocher du régime du mandat pour certains points afin peut être d’éviter une requalification judiciaire pur et simple en contrat de mandat.

L’intérêt principal recherché dans notre démarche de qualification est bien évidemment outre l’étanchéité patrimoniale relative (cf article 2025 et suivant du Code Civil), les pleins pouvoirs du fiduciaire (à relativiser encore une fois compte tenu du régime conventionnel de cette fiducie). En effet, au visa de l’article 2018 6° du Code Civil, les pouvoirs pouvant être modulés, il faudra envisager les cas des actes d’administrations et de disposition afin de permettre au fiduciaire de réaliser les arbitrages nécessaire. Ainsi l’octroi de tout pouvoir au fiduciaire par le constituant permettra d’organiser une véritable stratégie patrimoniale et donc de structurer la notion de portefeuille. Dans le cas contraire, il faudra craindre que l’intrusion du constituant dans les opérations de passage d’ordre déjoue la Loi de l’universalité déduite de la stratégie patrimoniale.

 

Dans toutes ces espèces, dans toutes ces situations il conviendra d’observer que le portefeuille de valeurs mobilières semble se présenter sous la forme du compte-titres, support matériel de leur détention. De nos jours, la forme l’emporte souvent sur le fond, contrairement à l’adage.

L’outil économique, le portefeuille, se muterait dès lors en un outil juridique, le compte-titre.

 

 

 

Portalis dans le Discours Préliminaire du Code Civil : « Quoi que l'on fasse, les lois positives ne sauraient jamais remplacer l'usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie ».

 

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