société d'acquêts et clause de préciput - intérêt familial et patrimonial

Publié le par ingénierie patrimoniale

 

Du principe de précaution en matière matrimoniale pour une convergence de l’intérêt familial et de l’intérêt patrimonial (Cass Civ 1ere 23 mai 2013)

Le contrat de mariage est avant tout un contrat répondant aux conditions de validité requises par le droit commun : l’intérêt de la famille n’en est pas une. Critère d’homologation par le Juge aux Affaires Familiales du changement de régime matrimonial, il est également un cadre nécessaire de développement des stratégies patrimoniales de la famille.

Tel est l’apport de cet arrêt rendu au visa des articles 1108, 1134 et 1397 du Code civil au travers desquels les magistrats du Quai de l’Horloge ont entendu confirmer que l’intérêt de la famille, notion éminemment subjective et dépendante de la casuistique, ne saurait servir a posteriori de fondement à une action en nullité de l’acte de changement de régime matrimonial.

En l’espèce, ce changement avait pour objet d’adapter le régime matrimonial de séparation de biens en procédant à l’adjonction d’une société d’acquêts « élargie » entendu comme comprenant « des biens présents désignés et les acquêts (donc du mari) à venir. La société d’acquêts est cet « îlot de communauté »[1]entre les deux patrimoines respectifs des époux qui, répondant au principe communautaire, permet ainsi d’avoir accès à la technique des avantages matrimoniaux dans l’éventail des outils de protection du conjoint survivant.

Malheureusement, une fois n’est pas coutume, l’affaire tourne mal et, le mari, qui avait apporté ses biens à la masse commune, agit en justice en nullité du contrat de mariage pour défaut d’intérêt de la famille. Plus précisément, l’apport des biens présents à la société d’acquêts ainsi que des biens à venir le concernant, constituant un défaut d’équilibre entre les apports, serait en opposition avec l’intérêt de la famille. Il est évident qu’en l’espèce l’opération se trouve défavorable pour l’époux apporteur se trouvant in fine contraint, au terme des opérations liquidatives, de partager à égales proportions les apports par lui effectués.

Nonobstant cet évident déséquilibre patrimonial, l’argument ne convainc pas les magistrats de la Cour suprême qui précisent que l’intérêt de la famille n’est pas un critère de validité du contrat et invitent tacitement les professionnels de la stratégie patrimoniale à promouvoir le principe de précaution en ligne directrice de la matière matrimoniale.

Aussi, c’est au travers d’une appréciation de l’intérêt familial qu’apparait la nécessité d’une confortation de l’intérêt patrimonial.

I Appréciation de l’intérêt familial

Que la notion trouve un usage multiple en pratique, sa définition s’avère polymorphe et on éprouve certaines difficultés à en dresser un tableau complet tant ses contours sont irréguliers.

A Usage de l’intérêt de la famille

A l’article 1397 alinéa 1er du Code civil, l’intérêt de la famille constitue un critère de contrôle du juge dans le cadre de son pouvoir d’homologation de la convention de changement de régime matrimonial et non d’un critère de validité dudit contrat. Le notaire eu égard à son devoir de conseil doit y porter une attention particulière. Il ne constitue pas le rempart utilisable par le juge dans le cadre de l’homologation. Le pouvoir laissé au notaire est donc large.

Aussi, en l’espèce, sur le plan de l’appréciation de cet intérêt familial, son éventuelle absence ne serait pas une cause de nullité du contrat au sens de l’article 1108 du Code civil a contrario d’un vice du consentement par exemple. Mais l’on ne sait que trop bien la difficulté de preuve que cela implique, surtout dans une relation contractuelle si consensuelle, si ce n’est a priori, en tout cas ab initio...

On observe ainsi que si la notion d’intérêt de la famille est éminemment subjective, elle englobe le cadre strict du contrat mais c’est déjà s’essayer à une herméneutique de ses contours.

B Contours de l’intérêt de la famille

Dans le Code civil, aux articles 217, 220-1 et 1429 en phase conflictuelle et à l’article 1397 du Code civil en phase consensuelle, le panel est large.

Un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 06 janvier 1976 est venu préciser que l’intérêt de la famille s’entendait largement : « l’existence et la légitimité de l’intérêt de la famille doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille risquerait de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification envisagée ». C’est donc une combinaison de facteurs dépendant de l’appréciation souveraine des juges du fonds. S’il peut parfois se résumer à l’intérêt d’un des parents agissant par ricochet directement sur la famille il est parfois vu in fine sur l’intérêt de la descendance. Il pourrait d’ailleurs l’être fort à propos s’agissant de l’ascendance...

L’exemple topique est le cas d’adoption de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale. Cette technique trop souvent utilisée sans réflexion d’ensemble peut valablement et efficacement mais non nécessairement se coupler d’une donation-partage ; dans ce cas l’intérêt de la famille ne s’apprécierait guère au niveau d’un seul contrat mais d’un groupe de contrats, intrinsèquement liés sans pour autant être interdépendants avec les conséquences afférentes notamment eu égard à la notion de cause (sous risque de remise en question de l’édifice contractuel).

En conséquence, il ne saurait être tiré parti de l’absence d’intérêt particulier à l’opération pour identifier une contradiction à l’intérêt de la famille. En l’espèce, le fait que de facto le patrimoine personnel du mari se soit « appauvri », ne constitue pas en soi une violation de l’intérêt de la famille. Et même pourquoi ne pas exciper avec force du contraire ! En effet, par cette technique d’apport, l’opération d’équilibrage des masses à plutôt un facteur de sauvegarde dudit intérêt lorsqu’il s’agit du cas topique de l’insertion au sein de la communauté du logement notamment.

Cependant, la volonté d’intégrer un tel bien dans la société d’acquêts : fondé sur un intérêt purement patrimonial a nécessairement des répercussions familiales. Le droit patrimonial de la famille étant bien une fusion des deux. On conçoit ainsi que l’intérêt de la famille, notion d’appréciation contingente, doit être mesuré avec finesse.

Au-delà de l’appréciation de l’intérêt familial c’est bien la confortation de l’intérêt patrimonial qui demeure nécessaire.

II Confortation de l’intérêt patrimonial

A bien y réfléchir, le mari n’aurait pas pu rentrer sur le terrain de la libéralité indirecte, consistant en l’apport à la communauté dudit bien et qui porterait ainsi sur la moitié de ce bien en toute hypothèse. En effet, si celle-ci devait être identifiée elle demeurerait désormais irrévocable s’agissant d’une donation de biens présents à effet immédiat depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004. La technique qui aurait été appréciable en l’espèce est la clause de liquidation alternative plus communément dénommée, pour son origine historique, « clause alsacienne ». Elle révèle toute la pertinence d’un strict encadrement par l’ingénierie juridique patrimoniale.

A Utilité du recours à une clause de liquidation alternative

L’anticipation d’un divorce est nécessaire au vu des statistiques matrimoniales. Aussi, la clause de liquidation alternative, fondée sur un principe de précaution juridique, validée par la jurisprudence et par l’article 265 alinéa 3 du Code civil[2] depuis la loi du 23 juin 20006, qui est donc le contraire d’un avantage matrimonial [3], organise la reprise des biens apportés à la communauté en cas de dissolution du régime matrimonial autrement que par le décès. Il s’agit selon un esprit aiguisé d’un « un antidote à l’avantage matrimonial »[4]qui permet de neutraliser l’avantage matrimonial quantitatif que constitue l’apport à « l’îlot de communauté ».

Au seuil de la liquidation, tout se passera ainsi comme s’il s’agissait d’une séparation de biens pure et simple, sauf à envisager une reprise partielle des apports, ce que le texte n’exclut pas ; cette possibilité devant en principe être expressément stipulée selon une rédaction adaptée.

A cela, il faut néanmoins objecter l’existence d’éventuelles créances entre les patrimoines respectifs induites par la situation spéciale de ce bien devenu « commun » et qui ne l’est finalement rétroactivement pas. Aussi ce qui aurait pu consister en des récompenses se retrouvent être de simples créances ne bénéficiant pas ainsi du régime de l’article 1468 et suivant du Code civil.

Cette reprise, marquée du sceau de la rétroactivité, peut être pénalisante notamment pour le conjoint non apporteur qui aurait financé par exemple des travaux sur le bien apporté par sa moitié d’alors. Auquel cas ne pourrait-il pas être envisagé un aménagement de la clause d’apport eu égard à son sort « négatif », soit, la reprise de l’apport. On permettrait ainsi au non apporteur de capitaux mais financeur de reprendre ses billes autant que faire se peut sans se trouver, au jour du recouvrement de sa créance, confronter au rigide principe du nominalisme monétaire. Une clause d’indexation, de revalorisation des créances pourrait ainsi être envisagée dans le contrat de mariage. Sa mise en œuvre serait suspendue à la réalisation de la condition de sortie « divorce » dans laquelle l’époux non apporteur serait créancier à l’égard de son conjoint pour avoir financé telles ou telles dépenses afférentes au bien repris.

Peut-être est-ce allé bien loin dans la démarche d’anticipation, peut-être est-il difficile de faire entendre cela aux parties à l’amour éperdu. Mais, il s’agit, pour le conseil, d’un simple souci de présentation et non d’exécution : ce qui est peut être préférable en terme de responsabilité in fine. Imaginons en effet que l’époux conseillé pour cet apport se retourne, au soir de la vie du couple, contre son conseil pour défaut (d’information, entendu comme précaution..)…

B Nécessité du concours d’un spécialiste de l’ingénierie patrimoniale

Si la critique de la déjudiciarisation de la matière matrimoniale[5], et donc de cette nouvelle conception du mariage, peut être entendue, elle ne saurait laisser place à complet regret.

En effet, la vocation même, au-delà de l’aspect budgétaire de ladite déjudiciarisation est de simplifier les procédures et finalement la vie des gens dans ce grand contexte de libéralisation. Et dans ce mouvement, les spécialistes du patrimoine doivent faire preuve d’une attention singulière et d’une expertise régulière. Car en effet le véritable problème dans cette opération a été l’absence d’anticipation d’une sortie « divorce » du couple.

Particulièrement la clause de liquidation alternative aurait validé, verrouillé le montage sans avoir à rentrer sur le terrain judiciaire glissant et in fine dépourvu d’utilité de l’intérêt de la famille. En outre, rester sur le terrain d’une société d’acquêts à objet limité doit être privilégié dans la mesure où cela permet d’éviter une analogie trop forte avec les principes du régime communautaire et ainsi de se départir de nombre de ses règles.

Plus avant on peut très probablement imaginer que la clause ne prévoyait pas non plus des dispositions au demeurant élémentaires : les conditions de remploi du bien qui pourraient être inversées et s’appliquer à la masse commune, la question du sort des éventuels revenus générés, les pouvoirs sur les biens.

En définitive est il possible d’étendre ou de rétrécir la communauté en modulant son régime tout en préservant sa notion ? Quelle est en définitive la nature de masse de biens dénommée « société d’acquêts » ?

Ce travail de prospective permet de mettre en perspective l’intérêt de la gestion du risque patrimonial. Pour pallier le travail du juge dans son pouvoir d’homologation, l’œuvre impartiale et désintéressée de la magistrature volontaire exercée par le notaire habilement conseillé a été affirmée par le législateur et désormais confirmée par le juge suprême. Confiance, expérience, vigilance.

[1] B. BEIGNIER

[2] « Toutefois, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté. »

[3] M. LEROY, sur son blog, article en date du 08 décembre 2010

[4] B. VAREILLE, La loi du 23 juin 2006 et les régimes matrimoniaux, JCP N 2007 1200

[5] M. LAMARCHE, Droit de la famille n° 7, Juillet 2013, alerte 39 ;

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