La faculté de cantonnement de l'émolument des articles 1002-1 et 1094-1 alinéa 2 du Code civil

Publié le par simehtimmopatriiraton

 Le cantonnement de l'émolument est à la croisée des stratégies patrimoniales familiales car il est le barycentre de volontés : explications...

 

Mécanisme récent faisant parti du (f)lot des nouveautés de la loi du 23 juin 2006, le cantonnement de l'émolument est cette mesure de souplesse permettant au gratifié de prendre moins que ce que le disposant lui proposait.

A bien y réfléchir, la situation n’est pas nouvelle : on trouve déjà du "tout ou rien" avec l’acceptation ou la renonciation à succession, à libéralité ; du "ceci ou cela" avec l’option dans le cadre de libéralités entre époux à cause de mort au profit du conjoint lui permettant de choisir, si le disposant lui en a laissé la possibilité, parmi les trois options de l'article 1094-1 du Code civil. Cependant, avec le cantonnement on entre un peu plus dans un pouvoir de modulation de la libéralité consentie ce qui en somme peut paraître comme un aboutissement logique d'une libéralisation des libéralités.

La volonté du gratifié entre dès lors au coeur de la stratégie de transmission du disposant : peut être plus que celà, les deux stratégies se mêlent voire s'emmêlent dans le cadre d'un véritable pacte de famille. Deux articles posent le principe, pour le testament et pour la donation de biens à venir :

            - à l'article 1002-1 du Code civil : "sauf volonté contraire du disposant, lorsque la succession a été acceptée par au moins un des héritiers désigné par la loi, le légataire peut cantonner son émoluement sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Ce cantonnement ne constitue pas une libéralité faite par le légataire aux autres successibles."

        - à l'article 1094-3 alinéa 2 du Code civil "sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles."

 

Le bénéficiaire de la libéralité va pouvoir décider de limiter l'émolument de la libéralité qui lui a été consentie selon des modalités qui seront analysées après une tentative de détermination des contours de la nature juridique du mécanisme.

 

Nature juridique: une libéralité disqualifiée légalement

Opportunité

A première vue, quel instrument de souplesse ! Un exemple liminaire pour aiguiser l'appétit : bien souvent des libéralités universelles en usufruit sont consenties entre époux ou entre partenaires ou concubins. Monsieur, non marié, décède laissant pour lui succéder son fils,  en ayant légué la quotité disponible de son patrimoine à sa partenaire (également mère), soit 1/2. Celle-ci, au moment du choix de l'acceptation du legs et sous réserve de l'acceptation de la succession par le fils pourrait limiter le quantum de l'émolument dont elle a été gratifiée ce qui permettrait de transférer à l'enfant plus que sa part réservataire. La veuve concubine, mais néanmoins mère, pourra donc conserver ce dont elle aura besoin (un appartement, des liquidités) le reste étant "laissé" dans la masse successorale et transmis selon les règles de la dévolution légale au fils du défunt. 

Par ce simple exemple on comprend la portée en terme de gestion de patrimoine de consentir certaines libéralités à cause de mort et pas n'importe lesquelles (les donations de biens à venir hors contrat de mariage  et les testaments).

 

Juridicité : est-ce ou non une libéralité? 

-Analyse réaliste : Discussion de la qualification

N'est ce pas une libéralité de facto dont la qualification est strictement écartée par la loi?

Au visa de l'article 893 du Code civil, "la libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de  ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne"

Deux éléments sont constitutifs d'une libéralité: l'intention libérale "animus donandi" et l'élément matériel, c'est à dire le transfert de propriété. 

Rappelons que le cantonnement n'intervient que pour des libéralités à cause de mort, l'acceptation est donc postérieure au décès du disposant et ceci en conformité avec le principe de prohibition de pactes sur successions futures. On comprendrait bien qu'une acceptation d'une donation entre vifs combinée à un cantonnement serait considérée comme un tel pacte car il constituerait une spéculation sur le patrimione du futur défunt : or la loi ne dispose pas, pour ce systeme, de dérogation à une telle prohibition (comme pour la RAAR, la donation de biens à venir, la clause "commerciale" dans les contrats de mariage...).

Lors de l'exercice de cette faculté de cantonnement le gratifié peut très bien être animé d'une intention libérale : par exemple, un conjoint qui décide que les enfants du défunt soient allotis en plus grande quantité du fait que lui meme dispose d'un gain de survie suffisant.

 

-Position légale :

Ce n'est pas une libéralité : La loi indique expressément que ce cantonnement "ne constitue pas une libéralité". Point.

Il est bien vrai que cette qualification légale négative doit être rapprochée de celle du régime de la renonciation anticipée à l'action en réduction ; en effet, l'article 930-1 alinéa 2du Code civil dispose que "la renonciation, quelque soit ses modalités, ne constitue pas une libéralité", de même que la seconde mutation dans le cadre des libéralités graduelles et résiduelles.

On comprend bien l'opportunité d'écarter expressément la qualification de libéralité à un tel mécanisme : il s'agit de permettre au conjoint d'organiser avec souplesse la transmission du patrimoine de celui qui l'a gratifié. Diverses problématiques peuvent entrer en ligne de compte : un usufruit dont les charges seraient trop lourdes, une volonté de consommer les abattements pour les mutations au profit des héritiers légaux...

Pour reprendre le mot du professeur Michel Grimaldi, la volonté du souscripteur s'exprime "de son tombeau" par le défunt (avec les différents mécanismes comme le mandat à effet posthume notamment..): ici ce serait une volonté exprimée par le truchement du gratifié. En somme, le gratifié aurait une sorte de mandat post mortem sans représentation pour moduler ou non la libéralité qui lui a été consentie et ceci dans une perspective de souplesse de la gestion patrimoniale familiale.

 

Mais, alors, a contrario, le disposant peut il décider que le cantonnement sera considéré comme une libéralité ? En somme, est-ce que ces articles sont d'ordre public?

Sur la possibilité technique d'un tel caractère supplétif:

Sur la forme, il est sûr que chacun de ces articles débute par "sauf volonté contraire du disposant" ce qui indique que les articles en eux memes sont supplétifs de volonté. Cependant, il y a une césure phrastique, et à chaque fois l'article est clôt par l'indication que ce cantonnement ne constitue pas une libéralité faite par le bénéficiaire aux autres successibles. On peut dès lors douter d'un tel caractère supplétif, doute révélé encore plus précisément sur le fond.

En effet, la "volonté contraire" concerne uniquement la permission, ou non, par le disposant au bénéficiaire de cantonner. Cette faculté de modulation peut très bien par une disposition expresse être retirée par le disposant. Au delà, il ne semble pas que le disposant puisse influer sur la qualification du cantonnement. C'est d'autant plus vrai que ce cantonnement intervient à une période délicate. A priori, soit le gratifié exerce l'option successorale avant le cantonnement, soit l'exercice de ce cantonnement , antérieurement, emporte acceptation tacite de la succession. Dans les deux cas dès lors, le cantonnement interviendra dans une période charnière au seuil de l'ouverture de l'indivision successorale. Les qualifications en libéralité sont  malgré tout éventuellement envisageables mais quel en serait l'intérêt si ce n'est dans l'hypothèse d'une répartition différente dans le cadre d'enfants non communs... Pour le coup, l'acceptation prédeterminerait la réalisation d'une véritable libéralité aux non-héritiers.

 

Et quid dans le cas où un partage aurait  été effectué?

 

En somme, peut on aboutir par le truchement du débat sur la supplétivité de la qualification du cantonnement en libéralité à une possibilité détournée de divisibilité de l'option successorale....?

 

Sur les conséquences liquidtatives d'un tel caractère supplétif :

En écartant la règle légale, on confère dès lors la qualification de libéralité le cas échéant si réunion des éléments matériels et intentionnels de ladite qualfication sont présents. Dans ce cas, il semble évident que le disposant est le gratifié de la libéralité intiale.  La cantonnement se nove alors en libéralité et doit dès lors être pris en compte comme tel dans les règles civiles de la liquidation successorale du premier donataire. Cette position emporterait inévitablement comme conséquence fiscale la taxation au titre des droits de mutation à titre gratuit  avec pour assiette taxable la part indirectement transmise à chacun des héritiers légaux (calculé au prorata).

Afin d'éviter toutes ces difficultés liquidatives qui pourraient néanmoins légitimement entrées dans une stratégie familliale globale et, en l'absence de position doctrinale sur le caractère ou non impératif de cette deuxième phrase des deux articles 1002-1 et 1094-1alinéa 2 du Code civil, on prendra stricto sensu avec attention et intérêt, sur un plan strictement fiscal, l'exclusion légale de la qualificiation en libéralité du cantonnement. Ceci dit la position civile et fiscale aurait très bien pu être différente à ce sujet ; ce qui n'aurait pas été chose nouvelle.

  

C'est une faculté d'option sui generis.

On peut rapprocher la technique de l'option successorale avec les possibilités d'acceptation pure et simple, de renonciation et d'acceptation à concurrence de l'actif net, encore que là, les choix soient plutot limités et strictement encadrés par la loi. Ici avec le cantonnement l'idée d'option laissée au bénéficiaire est sensiblement la même avec pour différence majeure la grande liberté a priori dans les modalités de cantonnement ce que nous allons voir dans un second point.

 

Encore une fois : quel aubaine pour l'ingénieur patrimonial qui pourra conseiller  ses clients sur une modulation intrafamiliale de la répartition patrimoniale.

Quelques exemples d'intérêt au cantonnement:

Interet civil: Bien entendu le principal intérêt est de permettre aux héritiers légaux d'avoir plus que ce à quoi ils auraient pu prétendre (hors cas de l'applicabilité des règles du rapport et de réduction). En outre, il est certain que le gratifié-"cantonneur" peut vouloir souhaiter limiter les charges matérielles et fianancière d'administration des biens (paiement des réparations, des charges diverses.. ) mais également de charges fiscales tels que l'ISF pour un usufruitier par exemple.

Intérêt fiscal: Ainsi donc la minoration de l'ISF et de l'IR au titre des revenus fonciers ou de capitaux mobiliers pour le gratifié. Il y a bien sur la recherche d'une consommation des abattements légaux et enfin également l'absence de droit de partage de 2,5%. 


Régime juridique: une intéressante possibilité de modulation qualitative et quantitative

 

Conditions

Conditions personnelles

Il ne faut pas que le disposant se soit opposé expressément dans l'acte d'aliénation à titre gratuit à la faculté pour le gratifié de cantonner. En effet, on comprendra bien qu'il ait voulu donner ceci et non cela à tel ou tel gratifié. En outre, il peut être des cantonnements qui peuvent avoir pour unique intérêt de créer des situations de troubles tel que des indivisons entre conjoint survivant et enfant d'un premier lit...

Cependant, on objectera que ces troubles naîtront au moment d'éventuelles actions en réduction empêchant, même si réduction en valeur est de principe, le gratifié de profiter ad vitam eternam d'un logement par exemple. Prenons l'exemple d'un partenaire survivant à qui un legs de l'universalité en usufruit aura été consenti : en n'écartant pas la possibilité du cantonnement, celui-ci pourra se prévenir d'une action en réduction lui obligeant de verser une indemnité de réduction ou lui empêchant de bénéficier du logement sa vie durant (dans l'hypothèse où cet immeuble ne constituerait pas la majorité du patrimoine). Ainsi,  celui ci pourrait cantonner son legs à l'usufruit de sa résidence (et pourquoi pas au droit d'usage et d'habitation..?).

En outre, s'agissant des testaments, une condition supplémentaire est ajoutée: il faut que la succession soit acceptée par un héritier ab intestat. L'explication de l'absence de cette obligation dans l'article 1094-3 al 2 du Code civil semble simple, en effet, le conjoint survivant bénéficiaire de la donation de biens à venir est également héritier de la succession.

  

Conditions temporelle : Quand cantonner?

On a déjà évoqué l'impact probable du moment du cantonnement sur la qualification en libéralité. Il pourrait être certain qu'un cantonnement concommittant à l'acceptation de la libéralité est nécessaire si l'on veut s'abstraire de toute mise en situation d'une libéralité indirecte et innommée au moins au fiscal.  Si, cependant, celle ci devait intervenir postérieurement on comprendra avec intérêt les difficultés qui pourraient surgir en terme liquidatif ce que nous verrons un peu plus loin dans le développement. 

Ainsi on appréciera la stipulation expresse dans l'acte de disposition précisant que la faculté de cantonnement devra intervenir au moment de l'option successorale.

En outre, à défaut de mention par le disposant d'une telle disposition, il est important pour le notaire liquidateur de faire exercer cette faculté par le bénéficiaire. Si il y renonce, il devra l'indiquer ce qui permettra de bloquer les possibilités de cantonnements tardifs (sous réserve bien sûr de la possiblité de ceux ci).

 

Conditions matérielles

Seuls les testaments et les donations de biens à venir hors contrat de mariage sont concernées. Les donations de biens présents et les donations de biens à venir par contrat de mariage sont exclus. 

Cantonnement en quantité ou en qualité?

La question qui habite la doctrine et les praticiens est celle de savoir quelle peut être la mesure du cantonnement.

Il peut paraître certain qu'une libéralité en pleine propriété ou en usufruit ou même en nue propriété pourra faire l'objet d'un cantonnement à hauteur d'une quote-part X de la libéralité.

On peut également admettre que le gratifié choisisse de cantonner sa libéralité à tel ou tel bien : un cantonnement à titre particulier. On a vu l'intérêt, plus haut, d'une telle possibilité lorsque la libéralité en usufruit à été faite sur la totalité de la succession en présence de réservataires pour assurer le logement du concubin survivant bénéficiaire.

Aucune limitation légale ne semble s'opposer à cela.

Plus avant, on est légitimement porté à s'interroger sur la possibilité pour un gratifié à cantonner la libéralité sur un droit réel qui ne lui avait pas été objet de la libéralité. Peut il décider de conserver tel droit réel plutot qu'un autre. En pratique la situation est celle de la gratitification en pleine propriété avec cantonnement sur la nue-propriété ou l'usufruit.

En application d'un principe a fortiori, "qui peut le plus peut le moins", on reconnaitra volontiers l'applicabilité d'un tel cantonnement qui, s'il ne répond pas strictement aux préceptes juridiques, répond à une utilité pratique que nul notaire ou ingenieur patrimonial ne saurait légitimement critiquer.

La ratio legis étant libérale en la matière on postulera donc pour une admission d'une modulation variable tant en qualité qu'en quantité de la libéralité consentie par le truchement du cantonnement.

Effets

Au civil, la part cantonnée est conservée par le gratifié, le reliquat est attribué au prorata des droits des héritiers légaux dans la succession : en somme le subsistant est maintenu dans la masse des biens existants.

La question qui pourrait peut être s'élevée est celle du legs du reliquat de la libéralité cantonnée. En somme, le disposant léguerait au gratifié un montant XXX, le gratifié cantonnerait sur un montant X, le legs subsidiaire porterait donc sur le montant XX subsistant. Ce serait un legs sous condition suspensive d'exercice du cantonnement. En compliquant, on peut être également incité à envisager le cadre d'une libéralité alternative avec plusieurs gratifiés dont les legs seraient fonctions des décisions du gratifié "primant". On aurait ainsi une hiérarchie dans les gratifiés..le gratifié venant en second bénéficiant du reliquat, qu'il pourrait éventuellement cantonné... Au delà de la question de la douteuse validité, dans ce cas on aurait une problématique quand au moment du cantonnement : quel effet aurait un cantonnement à retardement en terme liquidatif et surtout qualificatif (donation?)..? Qui serait dès lors le disposant? Une dualité confondue d'intentions libérales..?..sauf à considérer que seule la volonté la plus récente et qui se rattache à la possession du bien emporte constitution, sur la tête du bénéficiaire de la première libéralité, de la qualité de disposant?...

Au fiscal, l'art 788 bis CGI indique que les biens recueillis par l'héritier sont réputés transmis par le défunt: le reliquat issu du cantonnement est taxé au titre des relations entre le disposant et les "bénéficiaires" du cantonnement c'est à dire les héritiers légaux. Leur part s'accroit donc à due proportion du subsistant.

Si l'on admet la validité d'un cantonnement a posterori c'est à dire bien après l'exercice de l'option successorale, alors la qualification en libéralité alors dans ce cas la question de la taxation aux droits de mutation à titre gratuit se pose.

N.B.: Le droit de partage serait alors du dans l'hypothèse d'un cantonnement générateur d'une indivision.

 

A titre conclusif  on présentera deux points importants pour le conseil patrimonial:

-d'une part, cette technique doit s'épanouir dans l'éventail des techniques patrimoniales d'aménagements des conséquences successorales. Ceci passe par une communication renforcée lors de l'ouverture des successions et surtout de la connaissance des dispositions testamentaires. Alors, certes, ceci demandera la mise en place de liquidations comparatives pour envisager les meilleurs possiblités, mais ce travail mathématique pourra bien arranger nombre de situations patrimoniales dans les familles.

 

-d'autre part, il est certain que cette faculté de cantonnement du légataire ou bénéficiaire d'une donation entre époux doit être analysée au stade de la rédaction desdites libéralités et si le disposant souhaite laisser un minimum de liberté au gratifié il devra en faire stipulation. En outre, un aménagement des modalités du cantonnement pourrait semble-il être envisagé : des limitations, des exclusions pourraient elles être incluses? Des exemples? Une obligation de cantonner sur un même droit réel, de ne cantonner que sur une partie de la libéralité voire de ne cantonner que sous condition suspensive de telle ou telle situation..

En la matière, on peut postuler pour une liberté contractuelle élargie mais il faudra une pratique notariale efficace, si ce n'est audacieuse, au service des familles et surtout au coeur de stratégies patrimoniales croisées.

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