Devoir du conseil du notaire : attention aux opérations défiscalisantes !

Publié le par simehtimmopatriiraton

CA Aix en Provence  n° 10/00219 du 28 décembre 2010

 Une fois n’est pas coutume, c’est d’un arrêt d’appel dont nous allons parler.

Le notaire est au cœur de la gestion de patrimoine : il reste le garant par son devoir de conseil de contrôles approfondis de la viabilité des stratégies…

Cet arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence est éclairant sur le rôle que doit jouer le notaire dans certaines opérations immobilières de défiscalisation. Malgré tout, c’est un arrêt d’espèce et le notaire n’est pas tout a fait neutre dans l’opération; des interrogations doivent, cependant être soulevées.

Monsieur X est "contacté" par un CGPI aux fins d’investir dans une résidence étudiante: on connait bien les usages bien que ternis des locations meublés (LMP , LMNP..). Il lui propose donc un placement à vocation « défiscalisante » (un mot que beaucoup (trop) entendent comme une douce mélodie..) consistant en l’acquisition de 7 lots de copropriété.

Les avant-contrats sont signés, les baux commerciaux  avec la société gestionnaire de cette résidence également. Monsieur X crée une SARL pour réaliser l’opération. Un notaire organise la réitération de la vente des lots de copropriété  par acte authentique. 

De nombreux impayés et un redressement judiciaire de la société gestionnaire de la résidence s’en suivent.

La SARL constituée par M.X este en justice et réclame la responsabilité du notaire pour défaut de son devoir de conseil et pour manque à son devoir d’impartialité. En première instance,  les magistrats la déboutent. Elle fait appel.

Le notaire estime que les opérations de conseils ont été effectuées dans la mesure où sa collaboratrice a valablement contrôlé le paiement des loyers et a produit copie de la dernière facture de règlement des loyers.

Cependant, là où le bas blesse, c’est que le notaire était présumé savoir personnellement que la société ne réglait pas à échéance les loyers, celui-ci ne rapportant pas les éléments de preuve du respect de cette obligation quant à sa situation de propriétaire de lots d’une autre résidence gérée par cette même société.

La cour d’appel estime donc qu’il a failli à son devoir de conseil et de mise en garde, la perte de chance de la SARL est certaine, la responsabilité étant engagée pour le notaire celui-ci doit indemnisation au titre des loyers impayés jusqu’au redressement judiciaire de la société gestionnaire de la résidence et donc jusqu’à la résiliation des commerciaux. La cour d’appel estime néanmoins que le devoir de conseil était limité aux difficultés économiques de la société au moment de la signature et à une analyse financière des quelques mois précédents la signature et non à une analyse de la pérennité de celle-ci : c’est pour cela que l’obligation d’indemnisation est limitée jusqu’au redressment de la société.

« en revanche que ni l'état de cessation de paiement ni la rentabilité à terme de l'investissement financier et économique réalisé par la SARL X ne pouvaient être connus du notaire le 19 juin 2007 ou entrer dans le champ de ses compétences juridiques » 

La situation semble être claire cependant il ne faudrait pas, ou peut être pas, que le notaire à la lecture de cet arrêt considère la situation justifiée uniquement par un manque flagrant et circonstancié d’impartialité du notaire.

Plus que cela, il me semble, et sauf erreur de ma part, qu’il faille tirer quelques lecons de la situation; cette responsabilité est évidente mais limitée.

 Une responsabilité évidente

Le notaire n’a pas respecté son devoir de conseil d’autant plus qu’il était lui-même personnellement connaisseur de la situation.

Une présomption de partialité non renversée

La société requérante recherche la responsabilité du notaire pour la violation de son devoir de conseil et pour son manque d’impartialité : ce sont deux  des dispositions de la déontologie du notariat composante maitresse de l’institution.

La recherche n’est pas anodine il est clair qu'en la solvabilité notariale. L’intérêt à agir est néanmoins existant et l’on s’interrogera néanmoins de l’absence de mise en cause de la mission du CGPI…

En l’espèce, les faits allégués révèle l’absence de mise en place de formalités précises permettant de démontrer que le devoir de conseil a été effectif. Peu importe le fait que facture et autre justificatif de paiements aient été présentés en appuis du dossier de vente. Les diligences du clerc n’ont pas empêché au  notaire d'engager sa responsabilité.

Plus exactement le notaire n’a pas pu ici fondé son argumentaire sur ces diligences, tout du moins celles-ci furent inefficaces étant donné la situation personnelle du notaire relativement à la situation. Il aurait du exciper en défense l’existence de justificatifs de règlements des loyers qui lui auraient permis de justifier en toute bonne foi qu’il ne pouvait que croire en la bonne santé financière de la société et plus précisément en la bonne régularité juridique de celle-ci.

On touche déjà du doigt les problèmes de frontières de ces analyses.

En ce point, toujours est il qu’il convient d’identifier une absence de preuve suffisante permettant de renverser la présomption de connaissance par le notaire de la gravité de la situation.

Une responsabilité engagée

Le notaire aurait du mettre en garde l’acquéreur de la situation qu’il est présumé personnellement rencontrer, savoir, les défauts de paiements de la société gestionnaire (indirectement révéléteurs d’une mauvaise santé financière). Il ne l’a pas fait. Peut être afin d’éviter de livrer au public l’état de ses avoirs ? quoiqu’il en soit il est seul responsable et doit payer les loyers impayés par la société gestionnaire.

On critiquera une nouvelle fois la technique qui consiste a ester systématiquement contre les notaires afin d’aller rechercher cette garantie.

Une action récursoire du notaire contre le CGPI est elle envisageable ? A coup sur, certainement. Cependant, les sommes en jeu sont trop peu importantes pour engager un contentieux important et coûteux.

Cependant, au fond il est clair que la violation du devoir de conseil est caractérisée et que sanction est justifiée.

La portée de cet arrêt doit selon nous être étendue : un notaire doit analyser la vente que projette son client dans le cadre de ces opérations de défiscalisation immobilière.

Il est certain qu’ici l’analyse qu’il a dû porter était relative à l’apparence de solvabilité de facto ou tout du moins à la régularité de la société. On pourra se demander si l’analyse de l’investissement, l’emplacement  du bien n’est pas à prendre en compte… Ce serait rentrer dans une autre analyse..

Les magistrats limitent tout de même la portée du devoir de conseil..en évoquant la notion de "rentabilité à terme"..

Une responsabilité limitée

Le notaire n’est pas tenu des analyses de l’état financier de la société ni de la rentabilité à terme de l’investissement financier et économique et c’est heureux. Sa responsabilité doit être limitée au champs de ses compétences juridiques.. Mais où est la limite ?

Une limitation au domaine juridique

Il est certain que le notaire est un professionnel du droit : il ne faut donc voir en son devoir de conseil que les domaines ressortissant de ses compétences. Ici, écartons le cas d’espèce dans lequel le notaire était personnellement impliqué.

Lato sensu, il n’a pas à effectuer des analyses économiques et financières de la société. Il doit se limiter à l’apparence de régularité juridique de la société. Ainsi les ratios de solvabilité et autres indicateurs financiers ne sont pas à prendre en compte dans son analyse.

Les juges du fond ont donc condamné le notaire a versé une indemnité correspondant à la somme des loyers impayés jusquà la résiliation des baux consécutive au redressement judiciaire de la société gestionnaire. On reste donc dans le cadre juridique des contrats.

 Une limitation difficile à...délimiter!

Alors comment délimiter le rôle du notaire..? Les magistrats évoquent la non obligation de prise en compte de la rentabilité à terme. Mais alors doit-il tout de même porter une analyse sur la rentabilité locative  immédiate du bien? L’acquisition d’un  bien mal placé au regard de la situation du marché immobilier serait suceptible d’engager la responsabilité du notaire pour défaut de son devoir de conseil… !

Il est clair que l’analyse doit être fine pour le notaire, elle se dédouble :

            -d’une part il doit analyser la situation externe de la société : savoir, sa régularité juridique. Le notaire a-t-il ouie dire que la société avait des difficultés ? Il doit pouvoir rapporter les preuves.. ce qu’avait fait a priori le clerc du notaire mis en cause en l’espèce. Ces preuves doivent constituer en des quittances de loyers, des présentations de factures et pourquoi pas des interrogations des créanciers, des banquiers?..

            -d’autre part, il doit analyser l’acquisition du bien en lui-même: et là on rentre dans une approche plus globale du métier de notaire pris en tant que premier conseiller patrimonial des familles et des entreprises. Il serait déraisonnable pour un notaire d'instrumenter lorsqu'il sait intimement que l'opération est une mauvaise affaire pour "son"client. Il peut etre nécessaire de controler la validité ab initio de l'opération eu égard au prix moyen sur le marché immobilier et du prix de vente du bien. Si ce dernier apparait sensiblement déconnecté du marché, le notaire est-il tenu par son devoir de conseil et indiqué que le TRI sera quasi nul en cas d'achat? Les prix de vente intégrant bien souvent les réductions de droit dans leur calcul et donc majorés empechant parfois toute rentabilité en capital en en revenus.

Enjeu notarial qui serait peut-être bon à méditer...
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S
Enjeu notarial très important, merci .
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